Rencontre avec Alfred Lot, réalisateur et scénariste

Publié le par Corn-Flakes

Voici donc la première partie de mon interview avec Alfred Lot. Etant donné qu'il s'agissait d'un dossier à rendre pour mes études, certaines formules et mises en page peuvent vous paraître très académique. De plus, les consignes étant, la conversation est davantage orientée vers son métier que vers son film. Je vous souhaite tout de même une très bonne lecture, et espère que cela vous sera aussi instructif que ça l'a été pour moi.




I° Carrière.


Avant de devenir réalisateur, vous avez suivi le schéma classique de deuxième assistant réalisateur sur Le crime d’Antoine de Marc Rivière, puis de premier assistant réalisateur notamment sur le film Le baiser mortel du dragon de Chris Nahon. Comment êtes-vous arrivé à ce stade ?


C’est un métier que je voulais exercer depuis toujours. A cette époque, pour devenir réalisateur, il fallait être assistant, c’est une notion qui a changé très vite. Je vous parle des années 80-85, à ce moment là il n’y avait pas encore de magnétoscopes à la maison, et pour apprendre le cinéma il fallait se rendre dans les salles et être sur les plateaux de tournage. C’est ça qui m’a poussé à devenir assistant, et même si ce n’est plus forcément la meilleure voie aujourd’hui elle reste cependant valable.

Je suis ensuite allé dans une petite école, l’ESRA où je suis resté un an et demi. Il y avait certes des enseignants très intéressants, mais la particularité des écoles de cinéma c’est qu’on est entouré de Spielberg en herbe. J’avais le sentiment que ce n’était pas la vérité. Pour rejoindre une certaine réalité et aussi par envie de travailler j’ai désiré devenir stagiaire. Au début de ma deuxième année à l’ESRA, j’ai appelé des gens pour des stages et cela a porté ces fruits.

La première fois qu’on m’a appelé pour rejoindre un tournage, c’était pour aller chercher un clap. Il y avait une réalisation qui avait lieu et il n’y avait pas de clap, donc je suis parti à l’aube pour aller en chercher un, je suis retourné avec sur le tournage et je suis resté. A partir de ce jour là, je n’ai jamais quitté le milieu et je n’ai jamais arrêté de travailler. A 18 ans, l’assistant m’a retenu pour un tournage, puis de fil en aiguille j’ai travaillé sur un premier long métrage pour Philippe de Broca qui s’appelait Chouans !


Combien gagnez-vous en tant que réalisateur ?


Ce qui est particulier sur ce film, la chambre des morts, c’est que j’ai écris le scénario, j’ai adapté le livre. Mais avant d’être réalisateur, j’ai été assistant et directeur de production donc j’avais déjà un niveau de vie correct et il n’était pas question pour moi de gagner moins. J’ai gagné 200 000 euros brut pour 18 mois de travail, ce qui correspond à 170 000 euros net avant impôt. C’est un salaire au dessus de ce que gagne en France un réalisateur qui fait son premier film. C’est sur que quelqu’un qui fait ainsi son premier film à 25 ans gagnera moins, mais à mon âge, je n’aurais pas pu le faire en dessous.


Est-ce que le salaire est variable selon le succès du film ?


On a des points en fonction du succès, inutile de vous dire que je ne gagnerais rien d’autre malheureusement, mais oui en tant qu’auteur et en tant que réalisateur on a un pourcentage sur les entrées. Dans un premier temps, on touche un minimum garanti, et ensuite on a un pourcentage sur les entrées et également sur les ventes du DVD. Par contre, on a des droits annexes, notamment les droits SACD, ce qui veut dire qu’à chaque passage télé je toucherais des droits, à la manière d’un musicien qui touche les droits SACEM quand sa musique est diffusée.


Vous n’exercez donc aucune activité annexe ?


Je n’ai jamais exercé d’activités annexes, j’ai toujours était dans le milieu. En même temps, je ne sais absolument rien faire d'autre.


 



II° L’écriture du scénario et les préparatifs du tournage.


Vous êtes actuellement à l’affiche avec votre première réalisation, La chambre des morts. Comment en êtes-vous arrivé là ?


Depuis quelques années je travaillais sur un scénario original, mais je n’avais jamais réussi à monter le film malgré un casting superbe. C’était un film assez radical avec une histoire qui se passait dans le milieu de la prostitution en Asie. Mais le mode de production des films en France aujourd’hui est-elle que c’est la télévision qui investit dans des films qu’ils estiment correspondre à leur propre public, et on ne peut pas le leur rapprocher. Cependant, ça provoque un effet secondaire : une censure qui n’est pas volontaire vu que les projets qui ne correspondent pas à leur public ne voient pas le jour. Mon premier projet a donc été écarté pour ces raisons là. Un projet qui a pourtant été reconnu pour ses qualités cinématographique indépendamment d’un public de télévision. A la suite de ça, j’ai écris un autre scénario que j’apparenterais d’avantage à une sorte de Bourne Identity en légèrement plus comique. Ce scénario a beaucoup circulé, c’était un film très cher et je n’espérais pas forcément le mettre en scène. Il se trouve que Charles Gassot l’a lu et m’a appelé. Il désirait me commander un autre scénario. J’ai donc signé un contrat pour écrire un scénario original destiné à un autre metteur en scène. J’ai commencé à travailler pour lui et au cours de l’écriture de ce projet, je suis tombé sur le livre La chambre des morts. Je lui en ai parlé et ça l’intéressait beaucoup. Je pensais seulement écrire le scénario pour qu’il le donne à un autre metteur en scène, mais au final, c’est lui qui m’a demandé de le réaliser. Du coup, j’ai adapté le bouquin et on l’a tourné en dix huit mois et demi ce qui est assez rare et exceptionnel en terme de vitesse.

En ce qui me concerne, il n’y a pas eu de déclic, je ne me suis jamais dit : « Tiens, je vais réaliser un film ! ». J’ai toujours voulu en réaliser un. Les circonstances ont fait que c’est arrivé, qu’il y avait un producteur qui m’a demandé de réaliser un film. C’est rare, mais la plupart des films sont des concours de circonstance.


Avez-vous connu des difficultés sur l’adaptation du livre en le transformant en scénario ?


Non, pas particulièrement, c’était assez clair dès le départ. J’ai écris le scénario rapidement, sans éprouver aucune difficulté.


Lorsqu’un film est ainsi adapté d’une nouvelle, n’y a-t-il pas une certaine appréhension vis-à-vis des lecteurs ?


Comparer un livre à un film est particulièrement ridicule, il y a des gens qui vont dire « Je préfère le livre » ou bien « Je préfère le film », mais ce sont deux médias différents. Quelqu’un qui aime un livre profondément, de manière obsessionnelle, va être déçu car en le lisant, il fait déjà son film. On n’adapte pas un livre pour le détruire, ça n’aurait aucun sens. La démarche n’est jamais destructrice. Généralement, les gens qui ont aimé le livre ont aimé le film, à part quelques inconditionnels de la virgule. Le film reste franchement fidèle même si l’on ne peut évidemment pas adapter 400 pages au mot près.

Après, il existe des contre-exemples, notamment les livres de Jean-Christophe Grangé, tel que L’empire des loups. D’ailleurs, j’ai déjeuné avec lui la semaine dernière et il était vraiment désespéré de voir que ces bouquins soient si mal adaptés. En revoyant L’empire des loups à la télévision, il n’a pas pu le regarder plus de vingt minutes tellement cela le dégoûtait. C’est quelque chose qui lui échappe, qu’il ne comprend pas, puisque qu’il était témoin et même acteur lors de l’écriture du script.


Le repérage et les lieux de tournage vous ont-ils posés problème ?


C’est le domaine que je connais le mieux. Moi je fais ça depuis longtemps donc je connais les bonnes techniques et les bonnes personnes. On a été très efficace et on n’a pas eu de problème particulier. Il y a toujours des décors qui posent quelques problèmes, en l’occurrence « la maison de Lucie », quand on essaye de recréer un environnement modeste au cinéma c’est toujours un problème car il y a un contexte entre ce qu’on veut et la possibilité d’un tournage. Filmer dans un salon de vingt mètres carré, ce n’est pas ce qu’il y a de plus évident. Il fallait aussi créer une interaction entre cette maison et une dune de sable. J’ai donc engagé quelqu’un qui va faire un repérage. Il a longé les côtes, de Calais jusqu’au Touquet et regarder toutes les maisons sur la route jusqu’à trouver la bonne.


Comment s’est passé le choix des acteurs ?


Mon objectif était d’installer un réalisme suffisamment fort et crédible pour qu’ensuite le spectateur accepte d’être emmené dans le film. Pour le personnage de Lucie interprété par Mélanie Laurent, je recherchais une comédienne suffisamment fragile pour qu’on ait peur pour elle et permettre de s’identifier par rapport à elle. Si j’avais choisi une comédienne genre Angelina Jolie, le film ne serait plus le même, il aurait été plus basé sur des scènes d’action à la Lara Croft. Les personnages du bouquin étaient des gens vraiment réalistes, des personnes qui pouvaient figurer dans notre entourage. Alors, j’ai cherché des comédiens qui étaient dans cet esprit là, jusqu’à constituer le casting jusqu’au bout.

 



III° La réalisation.


Comment se déroule la direction des acteurs ? Avez-vous déjà eu des conflits qu’il vous a fallu désamorcer ou d’autres problèmes ?


Pour moi, il n’y a pas vraiment de direction d’acteurs. A partir du moment où vous choisissez des gens qui correspondent vraiment aux personnages que vous avez écrit, vous avez déjà fait la moitié du travail. Le reste se joue dans les dialogues, si vous écrivez des phrases qui ne collent pas avec la situation du personnage, vous n’avez aucune chance d’y arriver. Il faut aussi des conditions de tournage pour que les acteurs puissent se sentir suffisamment libres et qu’il y ait de la communication. Ce sont donc le casting, le scénario et les dialogues qui font que l’acteur va interpréter son personnage de manière juste. Il y certes quelques petites corrections qui sont apportées, mais elles sont minimes, d’autant plus que l’acteur apporte sa propre vision du film.


Vous avez notamment dirigé des enfants, cela a-t-il posé des problèmes particuliers ?


On ne prend évidemment pas n’importe qui pour jouer un rôle. Les comédiens jouent la comédie, mais les enfants c’est encore mieux car eux ils jouent tout le temps. Ils ont une distance qui est finalement presque plus grande que la notre par rapport à la situation dans laquelle on les dispose. Ils sont incroyables et séduisent tout le monde.


Pour la direction, c’est un peu plus laborieux forcément. Je mime ce qu’ils doivent faire et ils reproduisent mes gestes. Contrairement à un acteur, ils sont plutôt dans la comédie que dans la spontanéité. Mais ils sont particulièrement doués, donc je n’ai pas eu beaucoup de mal.


 

Il y a également de nombreux animaux à gérer pour certains plans, cela vous a-t-il apporté quelques difficultés ?


Ce sont des trucs basiques à faire. Ça ne nécessite pas un dressage particulier, c’est davantage des réactions. Par exemple, pour ouvrir la gueule à un boa, il suffit de lui souffler dans le nez et il l’ouvre. C’était plus compliqué pour le chien, il était lancé à partir d’un tremplin et s’arrêtait net en vol, ça a nécessité un travail numérique. Et pour les mouches, il suffit de les placer au bon endroit, ce n’est certes pas le plus agréable de tourner avec des mouches, mais ce sont des procédés de base.


En parlant du numérique justement, que pensez-vous du HD ? Pensez-vous tourner un film en HD un jour ?


Pourquoi pas ! Pour La chambre des morts, le coût aurait été beaucoup trop important pour ce que je voulais obtenir, j’ai tout de même tourné quelques scènes en Génésis, le top de la caméra HD aujourd’hui. C’est une caméra qui a les mêmes rapports de profondeur de champ que du 35 mm, mais qui donne une image très lisse. Economiquement la Génésis n’a pas vraiment beaucoup de différence avec le prix d’une 35 mm. Le prix va vite baisser, et la plupart des films risqueront même d’être en HD.

La chambre des morts, j’aurais pu le tourner en HD si j’avais pu récupérer le grain que je voulais avoir, mais c’était un coût trop lourd pour ce film là. C’était beaucoup plus simple et plus léger de le tourner en 16 mm.


 

Que ressentez-vous comme émotion au moment d’un tournage ?


J’ai beaucoup d’expériences des tournages. Je sais bien que là j’ai réalisé mon premier film, mais je suis parfaitement à ma place. Je n’ai aucune surprise puisque j’ai déjà vécu un grand nombre de situations en étant assistant réalisateur. J’ai déjà tourné de nombreuses scènes de cascades en voiture, j’ai déjà tourné avec des enfants, des animaux… Je savais donc à quoi m’attendre. Il est vrai que les réalisateurs qui font leur premier film ont peur, mais pour moi la peur va faire s’intéresser le réalisateur à des détails secondaires alors que ce qui compte, c’est uniquement les comédiens, la caméra et la situation, et toute la machine autour n’a aucune importance.



IV°Promotion et sortie du film.


Comment se déroule la promotion d’un film ?


Pour moi, ça ne s’est pas très bien passé… C’était l’endroit que je connaissais le moins. On a eu un premier problème puisque le film devait sortir le 31 Octobre, mais le distributeur a été viré de sa propre boîte et il a été décidé que le film sortirait deux semaines plus tard. On a souffert d’un manque d’exposition. La seconde surprise, c’est que les médias ne se sont pas du tout emparés de Mélanie comme on l’imaginait. On était convaincu que le premier film de Mélanie Laurent à la suite de son César allait provoquer de l’intérêt, mais ce n’était pas du tout le cas, personne ne s’y intéressait.

La perversité veut que l’on était tous convaincu de la qualité des films avec des avants-premières où la réaction du public était favorable en grande majorité. J’étais surpris et j’appréciais, mais du coup, ce retour positif m’a rendu aveugle et je ne me suis pas rendu compte que le film n’était pas assez exposé. Puis le film est sorti, et c’est assez violent…

La grève nous a aussi joué des tours à deux moments. Au moment de l’exposition du film où le temps des médias était davantage consacré aux mouvements sociaux qu’au cinéma, ce qui fait que c’est le dernier Coppola et American Gangster qui ont été mis en avant. Et lors de la sortie du film, les fréquentations des salles ont beaucoup baissées, mais de manière proportionnelle. Si il n’y avait pas eu de grèves on aurait fait 5000 spectateurs, mais les autres auront augmentés tout autant. Cependant, le petit paquet qu’on aurait réussi à réunir sur le premier jour aurait pu conduire à un bouche à oreille qui nous aurait fait de la publicité. C’est une catastrophe absolue, mais en même temps le faible public ayant vu le film l’a apprécié, c’est une petite consolation. Puis on va se refaire lors des sorties en étrangers, notamment en Belgique en Janvier.



Comment gérez-vous les critiques, bonnes ou mauvaises ?


Je suis assez indifférent à ce sujet. Quand on écrit un projet, on écrit soi-même la critique. Quand la critique est honnête, qu’elle me dit à quel endroit du film, à quel moment la personne a été choquée, déçue… Alors j’estime que cette critique est intéressante. Mais il y a des critiques qui sont la démonstration de la mauvaise foi et de la méchanceté pour se faire mousser sur le dos des autres. C’est totalement inintéressant, c’est juste bête. Comparer La chambre des morts à Julie Lescaut, c’est non seulement honteux, mais il faut aussi préciser que cette critique a été faite une semaine après la sortie du film, alors qu’il était déjà mort, donc c’était un petit plaisir pour s’amuser, une espèce de jubilation dans la méchanceté.


Lors de sortie d’un film, comment vous sentiez-vous ? Inquiet ?


Je suis allé aux Halles, le cinéma de référence à Paris, il y avait 17 personnes dans la salle à 8h45, 23 pour Faut que ça danse et 52 pour American Gangster. Les choses étaient faites, je savais que le film était mort. Mais je n’avais aucune appréhension particulière lors de la sortie.


Des projets futurs ? Allez-vous continuer en tant que réalisateur ?


Le plus grand paradoxe c’est que j’ai plein de propositions de réalisateurs grâce aux avants-premières avec des professionnels du cinéma qui ont vu le film et ont apprécié ma mise en scène. Je travaille d’ailleurs déjà sur un autre film à nouveau produit par Charles Gassot. Je suis convaincu que c’est mon job et je suis confiant pour la suite.

 


Publié dans Cinéma

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